Cabaret
[extraits]
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Au cabaret du bleu silence
On voit des couples qui balancent
Leur corps où coule une musique,
Et dans le puits anamnésique
De leur être réconcilié,
Ces acteurs plongent par milliers
Leurs doigts trempés de fantaisie :
Et ils mangent leur hérésie.
Une
inaugurale musique
Les convie à lentrée en scène :
Là, un à un, chacun promène
Son corps qui défie la physique.
Et
quand un comédien savance,
Celui qui juste le précède
Se fige tout net et lui cède
La scène ensemble avec
la chance.
Et
ainsi, le plateau se peuple
De personnages pétrifiés,
Humains de bois, muets, statufiés
Quun très ancien mystère peuple...
Seule, fatale, évaporée
Evanescente, impénétrable
Une femme se mire à table
A langle droit du cabaret.
Mue
par leur jeu dondes subtil
Celle que daucuns espéraient
Se lève, enfin, et vient errer
Entre les corps, vague éthérée,
Couseuse dombres, reine futile.
Elle
les toise et les retoise,
Tend vers lun une main frileuse,
Se recule et joue la poseuse,
Caricature de bourgeoise.
Les
pans de sa robe châtain
Captent tous les feux qui rutilent,
La marcheuse de linutile
Promène un air vague et hautain...
Or
nous parvient comme en sourdine
Le son dun poème mystique :
Et celle quon croyait sceptique
Prend tout le charme dune ondine.
Car
lon connaît que cette voix
Depuis lautre côté du monde
Vient de lêtre qui vagabonde
Là, entre les momies sans voix.
Alors
les acteurs magnanimes
Que neffleure plus nulle peur
Sortent joyeux de leur torpeur,
Et la musique les ranime.
Ils
virevoltent, tournent, dansent
Sapprochent, raccrochent à la vie
Se magnétisent, se font envie
Et jouent de toutes les cadences.
Et
dans lembrasement du jeu
Le spectateur ébouriffé
Ne remarque pas que se fait
La paix, et le calme neigeux :
Les
comédiens ont disparu,
Mais on peut suivre la cliente,
La vaporeuse récitante
Montrant une ardoise à la rue ;
Elle
convie au bleu silence
Les spectateurs dans le parterre,
Le temps redouble de se taire :
Chut !... Le spectacle commence.
Cest
ce quon lit sur le tableau
Noir souligné dun filet dor
Que notre pythonisse arbore
Et agite tel un falot.
Puis,
comme émanant de son dos
(Comme à sa table elle est passive !)
Vient une mélodie lascive
Pleine et gorgée tel un fado.
On
voit des serveuses pubères
Dont le sourire emplit les verres
Chalouper leurs hanches sommaires
Vers des clients imaginaires :
La
suggestion, voilà leur art,
Et les acteurs remuent les fils
Dune pantomime où défilent
Clowns, funambules et clochards...
Une trompette souffle-bulles
Explore en notes rougeoyantes
Lesprit de lEros qui la hante
Et qui tente des funambules :
Linstrument
tend le long des airs,
Nu et seul comme en un désert,
Les filins de sa nostalgie,
Et par sa suave magie,
Comme tirés dun rêve étrange
Au grenier céleste où sengrangent
Archétypes et effigies,
Deux funambules que régit
La fascination des mystères
Sélancent, tanguent dans les airs.
Lui,
lutteur royal bleu et or
Sous sa casquette de Gavroche,
Et qui berce sans anicroche
Lombre furtive de la Mort ;
Elle,
Colombine de grâce
Et dont la chevelure brûle
En crinière et en tentacules
Autour du masque qui agace
Et tracasse lidentité
En accouchant sa vérité.
Ils
sembrassent en se frôlant
Et croisent leur chemin dartistes
Sur leur filin déquilibristes,
Leur numéro a des relents
De
paradis et de démence,
Ils voguent en oiseaux immenses,
Sous leurs masques immaculés
On pourrait sentir pulluler
Les battements de leurs yeux denses.
Et voilà quune mouche intense
Sen vient pour les déboussoler.
Linsecte
vrombit et cisaille
Leur partition de funambules
Mais leur talent dort, somnambule
Et triomphe dans la bataille ;
La
mouche irritée va pour fuir
En traîtres boucles bourdonnantes,
Assassines et frissonnantes,
Loin de leur iris quon voit luire :
Ils
sortent, en vainqueurs unanimes
Et les spectateurs médusés
Jettent leurs regards en fusées
Vers les masques de blanche énigme.
Et
les serveuses inlassables
Rabattent sur le lourd secret
Le charme nubile et discret
De leur petit corps inclassable.
Hors
du temps, sourdes à lenvie
Elles sactivent, inoffensives
Et les trivialités lascives
Jamais du but ne les dévient :
Elles sont comme blanche page
Pour des écrivains coquillages,
Lointaines, tout inaccessibles,
Et qui veut les prendre pour cibles
Sexpose en de vils dérapages...
Mais une soudaine fanfare
Vient rompre lair trop velouté,
Elle envoie ses notes bouter
Sur la scène deux clowns hilares.
Leurs
yeux en soucoupe dessinent
Depuis la chute des héros,
Sur le masque de vie pierrot
La tristesse quon assassine.
.../...
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