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Présentation
du Cabaret du Bleu Silence

Le genèse
Cette
pièce poétique ou ce poème théâtral
ponctué de mimes trouve sa source apparente dans une
pièce jouée une unique fois, à la suite
dun atelier de théâtre. La frustration
de cet éphémère me porta à écrire
un poème qui voulait raconter la pièce, de manière
si imagée que lauditeur se ferait spectateur
devant le rideau du songe. Donner à voir avec des mots,
à voir tout autant quà sentir, à
frôler avec des mots dhommes, sur un fond de plaisir
mélancolique et lascif, des sentiments exacerbés,
de ceux que lon cache dordinaire, surtout en ce
pays fier.
L'argument
et les désirs
Cest
une histoire sans histoire, comme celle de nos vies. Une petite
histoire sans bruit. Comme dans un rêve insolite, des
tableaux défilent, des apparitions se succèdent
Pardonnez-moi de ne pas en dire plus, je ne veux pas tout
déflorer. Mon souci ici nest pas de raconter
ce que le spectateur verra, mais de développer lesprit
qui manime depuis le début de cette pièce,
voilà déjà trois ans.
Marier lapparence à lapparition, le visible
à la magie intérieure, à la vérité
cachée ; faire trembloter une âme, la lumière
dune âme blessée, la noblesse sous la meurtrissure,
la poésie sous la souillure : voilà un peu de
mon souci.
Dans
un poème
périphérique et inaugural, qui
annonce un climat onirique et sacré, il est fait mention
danges venus convoquer des saltimbanques afin de réveiller
la vie et de la placer sous létoilement de limaginaire.
Mais avant même cela, il est question dune naissance,
non pas de ce quon appelle naissance sur un simple plan
biologique, mais dune volonté de naître,
dexister comme une matière, dapparaître
en mouvement, en frémissement et en secousses, en mystère,
comme un homme déjà né qui ne se contente
pas dêtre né, mais veut accoucher lui-même
depuis le ventre de lUnivers.
A partir de là, se passe une mise en vie des choses,
une féconde activation. Il y aura des mouvements «
gratuits », la recherche dun corps dans lespace,
qui ne sait pas ce quil vient faire mais sent simplement
quil veut naître. Jaimerais montrer la vie
qui sébroue, une naissance sous le ciel, la magie
puissante et princière que cela peut devenir de naître,
non pas en nouveau-né braillard, mais en homme qui
cherche lHomme, cest à dire le dieu déchu,
et qui ne trouve pas plus noble quête.
Et pour amorcer cette naissance, la Musique active les fils
de la présence au monde.
La musique est le sourire des dieux.
Nallez
pas croire que ce nest quun rêve, une sorte
dexercice de style, sous prétexte que loin de
certaines pièces à thèse et histoire,
sortes de romans transcrits avec leur psychologie contemporaine
geignarde et nombriliste, ici lhistoire cest ce
que lon voit, et qui ramène chacun de nous à
un plan personnel de vie, à un pan de sa biographie,
par le biais de certaines hautes figures : anges, clowns et
clochards, funambules et autres serveuses. Toutes ces figures
de la vie sont de communes allégories, tombées
sur moi depuis toujours et que chaque jour je côtoie
dans mon magasin darchétypes.
Ainsi cette pièce montre les hommes aux prises avec
leur hantise : lindigence et le dénuement, la
vrillante misère sociale qui bientôt devient
totale parce quelle emporte le cur, et lespérance
et sent le rance. La pauvreté que lon fuit, qui
vous glisse le long du cur, et quon refoule loin
de soi, au caniveau de lexistence.
Elle suggère aussi le plaisir, rehaussé de lattrait
de linsolite. Ce cabaret peuplé de gens qui vont
tous par couples, sortes de figures gémellaires : lon
y boit comme lon y songe, et lon y boit surtout
du songe. Les serveuses sont là aussi comme signe du
désir naissant. Une furtive lascivité devrait
émaner delles.
La pièce révèle aussi le danger, la noblesse
frémissante du risque. Un funambule sur son fil, est-ce
autre chose au bout du jeu que le mythe de lélévation
qui se joue de lattraction terrestre, et la taquine
en demi-dieu ? Amener lattention de tous sur le filin
idéal du péril, avec le vide sous les pieds,
quand le risque est profond, envoûtant et même
cruel. Et qui de nous à ses meilleures heures na
pas rêvé à ce décrochage suprême
davec la gravitation ?
Il y a en lhomme un oiseau captif, captivant et royal.
Le poète le taquine, lacteur lincarne et
le libère.
Lancien
et le nouveau
De la
«pièce» originelle, qui montrait huit acteurs
et une figurante, je dois donc évoquer présence.
Le mime sert donc différemment. Initialement chacun
mimait sa partie, soccupant assez peu des autres, sauf
aux moments de retrouvailles. Ma présence seul sur
la scène moblige à rendre compte du maximum.
Jai inventé de nouvelles scènes, pour
louverture et le final.
Lapparition de ce long
poème de 680 vers ma contraint
à modifier le jeu, et réciproquement le poème
sest laissé investir par le corps qui gagne sur
lui. Une récitation dun trait devenait désormais
impossible, à cause de la bande son, du désir
dincarner le texte.
Outre les difficultés de ce jeu dévocation
mimée, la principale difficulté de mise en scène
concerne la redite, la surcharge, bref cette redondance menaçante
qui étouffe limaginaire du spectateur bombardé
de signes. Je nai pas réglé le problème
constamment, des passages entiers subsistent où la
quadrature du cercle ma obsédée puis quittée,
parce quil ny a pas de solution : Poème
plus Jeu plus Musique, racontant la même « histoire
». Je me console en espérant que les spectateurs
en difficulté choisiront parmi le trio un duo qui les
tienne en regard, en écoute. Je suis également
spectateur, et je sais que le théâtre requiert
une attention totale. Un instant dinattention et la
pièce déboule sur vous, vomissant son flot de
signes. Mais cette attention captive, je laccepte et
je la veux, parce quelle seule me grandit.
Et le Théâtre qui se mérite, il fait des
spectateurs géants.
Quelques
mots sur la théâtralité
La mise
en scène originelle montrait des couples comme des
figures emblématiques de lappartenance à
un même monde. Il y a résumé en couple
le clan des artistes, celui des exclus, celui des gens de
lombre, serviteurs du plaisir des autres, serveuses
bien sûr mais surtout clowns. Clowns qui hantent notre
affectivité, mangés du ver de solitude, et dont
les cris de lâme flambante se traduisent en rires
mimés. Ils font rire pour ne pas pleurer, leur cur
est gros comme leurs manières. Et vraiment plus ils
sont grotesques, plus leur âme est vaste et blessée.
Un clown est seul comme un bourreau qui vient décapiter
le Mal.
Comme
dans lexistence, ces gens se succèdent, se juxtaposent.
Comme dans le rêve, ils se rencontrent. Un vers dit
quils «se magnétisent, se font envie,
et jouent de toutes les cadences.»
Le Théâtre est lart suprême qui inaugure
des unions. Je veux voir le théâtre sous langle
de cette union sacrée où toutes les présences
se rejoignent, même dans ladversité, et
où tous les arts fraternisent.
Un jour on découvrira toutes les phéromones
que dégagent les acteurs sur scène, et qui les
nouent et les attirent et activent les spectateurs, les débusquant
de leur tanière. Et lon mettra des mots de plus
sur ce quon nose plus appeler charme, et sortilège
et magie franche.
Le théâtre transfigure la vie, la place sous
le signe de lirradiation.
Le théâtre règne et unit, au cours dinstants
inauguraux qui ouvrent la porte des cieux. Je veux dire que
ces dieux qui nous abandonnent parce que nous les laissons
filer de notre âme trop resserrée, le Théâtre
lui les convoque, et nous en ramène les signes.
En politique lon soppose, on bat le fer plus ou
moins franchement pour défendre une vie mannequin,
une vie surfaite, une vie défaite.
Mais au théâtre lon sunit, pour faire
apparaître la vie.
Les fausses forces toujours divisent. Lart vivant constamment
unit.
Dailleurs il ny a pas dart. Il ny
a quun cri que lon promène, du murmure
à lépilepsie, devant cette nuit du monde,
pour la lécher de notre feu et léclairer
de notre étoile.
Quest-ce que le feu ? Le désir qui embrase la
vie.
Quest-ce que létoile ? Mais cest
notre âme quand elle clignote.
Et le théâtre plus que tout parle à tous
lorsquil est vrai. Létrange densité
dun corps, ce poids de la vie que lon sent ; la
vérité nue dun visage, activés
par le jeu théâtral, nous renvoient en miroir
tranchant la sensation de profondeur.
Je voudrais que lorsque lon joue lon fasse sentir
les mouvements de certaine âme, les floraisons de la
peau, les marées des humeurs secrètes qui lentement
se désentravent.
Pardonnez-moi si jouant moi-même, je me sente parfois
petit face à une telle ambition.
Lexpressivité maintenant : Sur la palette des
émotions, qui sont autant de purs pigments, lacteur
se fait le peintre vif, et la toile quil réalise
nest rien dautre au bout du compte que la vivante
sculpture du corps, prisonnier dun espace restreint,
la scène, mais quil investit et habite.
Les émotions offrent des peaux, des masques quà
la vie on gomme. Sur la scène, il faut les travailler
tel un tanneur, et les porter, les rendre forts.
Dans notre petit quotidien, les sentiments et émotions
forts devraient prendre possession de nos visages en sculpteur
entier et serein. Alors nous aurions moins besoin de mots,
de discours et de paroles vides.
Nous avons perdu la magie évocatrice du mot, son pouvoir
dincantation, comme nous avons perdu le corps, limaginaire
fertile du corps qui veut entrer en état de vie.
La poésie nous a quittés, et nos corps nous
ont désertés.
Un poète
est un dompteur, mais un dompteur comme à lenvers,
qui ouvre grâce à des vocables la cage aux présences
retenues.
Si je prononce vraiment un mot, je veux quil se dresse
sur ses pattes, que le lion en lui rugisse, ou que le papillon
leffleure et que cette caresse vous frôle. Et
que toute phrase même de prose lève son rideau
dimages. Et que deux-mêmes ces mots senvolent
pour vos oreilles qui les accueillent, et où ils iront
butiner.
Et de même que le poète active la langue, lui
fait violence amour et rage pour éviter quelle
ne sendorme, lacteur lui, titille sa sève,
et tente dentrer dans un corps et de la faire naître
à la vie, chaque seconde sur la scène du sacre.
Jadresse mes mots comme des abeilles, je montre mon
corps comme une offrande.
Essayez donc, si le corps vous chante. Vous verrez ce que
cela coûte, comme aussi ce que ça promet.
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